Retour à une indemnisation forfaitaire du préjudice fonctionnel permanent en application de la loi n° 2025-199 du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025 en cas de faute inexcusable de l’employeur
Lorsqu’un accident du travail ou une maladie professionnelle résulte d’une faute inexcusable de l’employeur, le salarié perçoit un capital ou une rente majorée lorsqu’il se retrouve atteint d’une incapacité permanente d’au moins 10 %.
L’indemnisation du déficit fonctionnel permanent a connu de nombreuses évolutions.
Antérieurement, l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent était incluse dans la rente
Depuis 2009, la Cour de cassation considérait que la rente allouée indemnisait les postes de pertes de gains professionnels et d'incidence professionnelle ainsi que celui du déficit fonctionnel permanent.
Cass. Crim., 19 mai 2009, n° 08-86.050 et 08-86.485 ; Cass. 2e Civ., 11 juin 2009, n°08-17.581 ; n°07-21.768, n°08-16.089
Par conséquent, la rente majorée (en raison de la faute inexcusable de l’employeur) indemnisait à la fois :
- la perte de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité;
- le déficit fonctionnel permanent, à savoir les préjudices liés à la période post-consolidation et regroupant les séquelles permanentes, les souffrances morales et physiques, les troubles dans les conditions de l’existence : personnelles, familiales et sociales, préjudice d’agrément non spécifique.
Comment scinder la rente et différencier la portion professionnelle de celle correspondant au déficit fonctionnel permanent ? Impossible.
La Cour de cassation a alors opéré un revirement
Par deux arrêts rendus en assemblée plénière, la Cour de cassation a opéré un revirement.
Elle a alors jugé que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.
Cass. Ass. Plén., 20 janv. 2023, nº 21-23.947 et Cass. Ass. Plén., 20 janv. 2023, nº 20-23.673
Les affaires concernaient deux salariés qui ont succombé à une maladie contractée dans le cadre de leur activité professionnelle, suite à l'inhalation de poussières d'amiante.
Les fautes inexcusables des employeurs ont été reconnues.
Opérant un revirement, la Cour de Cassation a alors énoncé : « la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent ».
Pourquoi ce revirement s’est-il imposé ?
- La rente est calculée en fonction du salaire de référence et du taux d’incapacité permanente. Elle ne tient alors pas compte des répercussions de l'accident sur la vie courante du salarié ou d’autres types de problématiques.
- Il était alors très difficile de prouver que la rente n'indemnisait pas déjà le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. La preuve était quasiment impossible à rapporter.
- Il était alors très difficile de prouver que la rente n'indemnisait pas déjà le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. La preuve était quasiment impossible à rapporter.
CE, 8 mars 2013, avis no 361273 ; CE, 23 déc. 2015, no 374628 ; CE, 18 oct. 2017, no 404065
Quel a été l’effet de ce revirement ?
Il a permis une amélioration de l'indemnisation des préjudices après consolidation.
- Il n’y avait plus à prouver que la rente ne prenait pas déjà en charge les souffrances physiques et morales au titre du déficit permanent fonctionnel, pour obtenir une réparation complémentaire.
- La rente ne réparait alors que les préjudices qu’étaient les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.
Autrement dit, en cas de faute inexcusable de l’employeur, outre la majoration de la rente et la réparation des préjudices prévus à l’article L. 452-3 du code de la Sécurité sociale, le salarié pouvait obtenir la réparation intégrale du déficit fonctionnel permanent.
Cette réparation intégrale représentait alors un surcoût pour l’employeur en cas de faute inexcusable.
C’était sans compter sur la nouvelle direction donnée par l’Accord National Interprofessionnel du 15 mai 2023
Les partenaires sociaux ont réaffirmé leur volonté de lutter contre les accidents du travail et les maladies professionnelles dans l'intérêt de la santé et de la sécurité des salariés.
Il s’agit aussi de l'intérêt des entreprises ou plus généralement de l'économie et de la protection sociale.
Tout en rappelant que l’objectif premier des partenaires sociaux est de faire en sorte que les victimes bénéficient d’une juste réparation à la hauteur de leur situation, ceux-ci se sont accordés pour mettre fin à la jurisprudence issue des derniers arrêts de la Cour de cassation du 20 janvier 2023.
Ils ont donc appelé le législateur à prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir que la nature duale de la rente AT/MP ne soit pas remise en cause.
Selon eux la nature duale de la rente permet d’accéder à une indemnisation en fixant des règles adaptées tant pour les salariés que les employeurs, en évitant une judiciarisation des démarches de reconnaissances des accidents du travail et des maladies professionnelles et en assurant une certaine solidarité et mutualisation entre les entreprises.
L’indemnisation serait de nouveau rapide et automatique pour toutes les victimes d’accident du travail et de maladie professionnelle, indépendamment de la notion de faute inexcusable.
A l’appui de cet accord national interprofessionnel, le Gouvernement a donc proposé via l’article 39 du projet de loi de financement pour la sécurité sociale pour 2024 d’énoncer le caractère dual de la rente allouée en cas d’accident du travail et de maladie professionnelle (la même qui est majorée en cas de faute inexcusable).
En d’autres termes, l’objectif du projet de loi était de transposer la demande formulée par les partenaires sociaux et de mettre un terme à la jurisprudence issue des arrêts rendus en janvier 2023 par la Cour de cassation.
Finalement, ce projet a choqué des associations de victimes et certains syndicats signataires de l’accord constatant que la perspective d’une indemnisation intégrale s’éloignait. Cette évolution légale a donc été supprimée du texte.
Le caractère dual de la rente se retrouve affirmé par la loi n° 2025-199 du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025
Il résulte de l’article 90 de la loi n°2025-199 du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025 que le code de la sécurité sociale énonce désormais que l'indemnisation de l'incapacité permanente dont est atteinte la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle comprend celle due au titre de son incapacité permanente professionnelle ainsi que celle due au titre de son incapacité permanente fonctionnelle.
Le taux de l'incapacité permanente professionnelle est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge et les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, à partir d'un barème indicatif d'incapacité professionnelle des accidents du travail et des maladies professionnelles déterminé par arrêté des ministres chargés du travail et de la santé.
Le taux de l'incapacité permanente fonctionnelle est déterminé en fonction des atteintes persistant après la consolidation qui relèvent du déficit fonctionnel permanent, à partir d'un barème indicatif déterminé par arrêté des ministres chargés du travail et de la santé.
Ces nouvelles dispositions entreront en vigueur au plus tard le 1er juin 2026 et s’appliqueront aux victimes dont l'état est consolidé à compter de cette date.